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Bienvenue dans le monde de la superficialité et du luxe. Bienvenue dans le monde du stiletto et  des “killer shoes”… Bienvenue dans le monde sans pitié de l’escarpin.

Deux grands noms de la mode, un vétéran et un jeune premier  viennent de s’affronter non pour  une paire de souliers …. mais pour une simple paire de semelle.

S’il est inutile de présenter la marque Yves Saint Laurent –YSL-, peut-être certains lecteurs ou lectrices sont moins familiers de  Louboutin1. Nul doute cependant qu’ils ont croisés du regard, sur un écran  ou dans les journaux  de mode, sa marque emblématique: des escarpins de luxe à semelle rouge.

Louboutin aurait été  suivi… à la trace… par de nombreux autres chausseurs. Mais  il aura peut-être  été inspiré par d’illustres pieds: de ceux du Roi Soleil qui lança la mode des chaussures à talon rouge – signe de noblesse suprême – à ceux de Judy Garland et ses souliers rouges dans  le film de Victor Fleming “The Wizard of Oz”2, sans oublier les fameux “Red shoes” portés par la ballerine Victoria Page interprétée par Moira Shearer dans le film de Michael Powell et Emeric Pressburger3.

A l’origine de cette idée qui connait un succès  certain auprès des victimes (fortunées) de la mode – revêtir de rouge  les semelles de ses escarpins – Louboutin  aurait choisi cette couleur qui est celle  de la passion, sexy et provoquante.

Selon la linguiste Annie Mollard-Desfour4,La couleur rouge est la couleur par excellence, la première des couleurs,  la plus vive- à l’origine du nom d’Adam  – du latin adamus: fait de terre rouge- ”.

D’après le publicitaire  Olivier Saguez5….”C’est celle qui se voit le plus. C’est la couleur la plus forte, la plus passionnée, la plus intense. Le rouge c’est le feu, la passion, l’amour…(…)  C’est la couleur du chef. Ce n’est donc pas un hasard si les marques qui veulent être leader utilisent le rouge…..”

Le litige est né à New-York où YSL a mis en vente une série de modèles de chaussures de couleur unie – bleu, mauve et ….rouge – incluant la semelle.

Louboutin a  alors vu rouge….

Ce dernier avait en effet pris la précaution de protéger ses semelles rouge sur le territoire des USA, en procédant à un dépôt de marque de la couleur des semelles auprès de L’USPTO en 2008.

Pourquoi un dépôt de marque pour protéger ce qui au départ relève d’une idée?

La marque est généralement définie comme étant un signe susceptible de représentation graphique, servant à distinguer des produits ou services d’une personne physique ou morale.   Elle confère un monopole d’exploitation à son titulaire pour un territoire et une période définie et pour une catégorie de produit ou de service précise.

La marque permet également au consommateur  d’établir l’indication de provenance des biens et des services, d’identifier un produit ou un service de ceux d’un  concurrent. La loi sur les Marques au Canada a d’ailleurs pour premier objectif de protéger le public en lui permettant d’identifier la provenance des produits ou des services. Cette préoccupation a également été mise en avant par la Cour de justice Européenne dans l’arrêt TERRAPIN6  en 1976.

Toutefois, l’enregistrement de la marque ne confère des droits au déposant que pour autant que la marque réponde à des critères de validité qui varient de façon sensible selon les pays.

Ainsi en Amérique du Nord, une marque devra, sauf exception, être exploitée pendant un certain temps avant de pouvoir être enregistrée, alors qu’en France et dans l’Union Européenne, elle peut être enregistrée dès sa création.

Par ailleurs, les organismes chargés de l’enregistrement des marques, l’USPTO, l’INPI en France ou L’OPIC pour le Canada ne garantissent jamais la validité de la marque qui est enregistrée. Il appartient à chaque déposant de faire ses recherches et de prendre conseil en la matière.

En l’espèce, Louboutin a déposé une marque dite de couleur…. à savoir une certaine nuance de rouge pour les semelles de ses chaussures à talon. Est-il possible de s’approprier une couleur par le biais d’un dépôt de marque ?

En France, une marque de couleur a été admise en 1944, pour des sachets de levure rose…et déjà en 1974, une nuance de rouge a été retenue pour une marque d’essence… un rouge Congo.

La Cour de Justice des Communautés Européenne a imposé que cette marque, lors de son dépôt soit non seulement déposée en couleur mais, de plus, elle doit faire l’objet d’une description au moyen notamment d’un code international de couleur7.

Au Canada, il est possible de revendiquer des droits sur une marque en couleur qui est apte à distinguer ses produits ou services de ceux des concurrents. Il peut s’agir d’une forme incluant une ou plusieurs couleurs ou encore une couleur adaptée à une forme spécifique. La couleur ne doit cependant pas être fonctionnelle. En effet certaines couleurs sont associés en marketing à certains secteurs de l’industrie ( bleu pour la santé, vert pour l’agro alimentaire…)8.

Aux Etats Unis  une marque en couleur peut, sous certaines conditions être déposée,   si cela sert à identifier l’origine du produit. Ainsi, il existe le bleu de Tiffany, l’orange de Veuve Clicquot,  etc.

Louboutin dispose à ce jour de plusieurs  marques enregistrées pour des chaussures à semelle rouge9. Peut-on pour autant monopoliser cette couleur pour un objet ou un service en question ? Si la réponse est affirmative dans certaines hypothèses précises, elle est plus que discutable dans le domaine de la mode. L’univers des créateurs repose sur l’agencement des formes, matières et couleurs. Disposer d’un monopole de couleur sur un article de mode peut limiter la liberté de création des autres stylistes.

Louboutin semble d’ailleurs avoir glissé sur la peau de banane  déposée par YSL qui aujourd’hui contre attaque le jeune loup de la mode en demandant que la marque constituée par les semelles rouges , soit annulée par la juridiction New-yorkaise.

En effet, les semelles rouges de Louboutin ne servent pas qu’à identifier l’origine du produit, mais selon les propres mots du créateur, elles  donnent une impression de luxe, une allure sensuelle et  sexy etc.. Ceci pourrait être une cause de nullité de la marque puisque l’on s’éloigne du seul critère d’identification pour entrer dans des considérations d’ordre esthétique.

On peut donc s’interroger sur l’opportunité de déposer une marque pour protéger en fait un modèle…. Le choix stratégique du dépôt de marque est utilisé pour renforcer un monopole, au détriment de la réalité de la mode.

L’office d’enregistrement des marques communautaire –OHMI ou OAMI- a manifestement donné du fil à retordre à Louboutin, puisque dans un premier temps, son dépôt de marque a été rejeté. Un recours a été effectué  par Louboutin et la procédure est en cours. La marque a toutefois était acceptée au BENELUX et au Royaume Uni en 2010, ainsi qu’en France dès 2000.

Les juridictions françaises également, malgré l’existence de la marque française, ont mis à mal la protection des semelles rouges… en refusant d’admettre la contrefaçon par imitation en raison de  l’absence de risque de confusion dans une affaire contre EDEN SHOES10 et en ne l’admettant qu’en raison du caractère renommé de la marque de Louboutin.

Par ailleurs, le groupe ZARA11 vient d’obtenir devant la Cour D’appel de Paris le 21 juin 2011, l’annulation de la toute première marque  française “semelle rouge” de Louboutin, en raison notamment du caractère imprécis du dépôt de marque, notamment la référence à une couleur rouge, sans indication précise de nuance.

A New-York, dans le litige contre YSL,  le juge n’était saisi que d’une demande de mesures provisoires à l’encontre de YSL.  Dans une décision du 10 août 2011, il a rejeté la demande de Louboutin visant à interdire à YSL de vendre des chaussures rouges, en attendant la décision du tribunal chargé de statuer sur les allégations de contrefaçon12.

La motivation de la décision rendue est quelque peu éloignée des points réellement en débat. L’ampleur  médiatique du litige a donné de l’emphase au juge saisi, qui a cru pouvoir  paraphraser Whitman et comparer ce litige à un hypothétique différend entre Monet et Picasso, lequel ne pouvait porter  que sur une question de droits d’auteur et non de marque.

Si la comparaison n’était peut-être pas très pertinente au regard du débat sur le droit des marque, elle a eu le mérite de rappeler  qu’une création de mode peut être une oeuvre de l’esprit si elle remplit la condition d’originalité. Certains y ont vu un appel du juge à faire évoluer en ce sens la législation américaine et faire ainsi écho au lobbying du syndicat de la mode13.

En France, une protection dualiste s’applique pour les créations de mode originales, le droit d’auteur et celui des dessins et modèles.

Ainsi que nous l’avions évoqué dans un précédent billet14, le droit des marques ne devrait pas être détourné de son but, de la fonction de la marque telle qu’elle est conçue  aujourd’hui, tant dans l’union Européenne qu’en droit Canadien ou américain, à savoir permettre de déterminer l’origine des produits ou des services pour le public.

A l’heure où j’écris ce billet, nous ne savons pas si Louboutin va interjeter appel de cette décision ou si un accord est intervenu avec YSL. Par la poursuite de ce litige, il pourrait bien tout perdre, jusqu’aux semelles de ses chaussures….

Ce litige pourra paraître bien futile aux adeptes des souliers plats…les médias se sont montrés en effet plus discret sur un procès d’une nouvelle espèce… le premier procès en  bio piraterie …. d’une aubergine…. va se tenir en Inde. Parmi les  protagonistes, un célèbre fabricant de pesticide…. mais c’est une autre histoire dont on va suivre les développements avec attention et qui vous sera contée un de ces jours….

MD , le 22 août 2011

Notes:

1: http://www.google.ca/search?q=louboutin&oe=utf-8&rls=org.mozilla:fr:official&client=firefox-a&um=1&ie=UTF-8&tbm=isch&source=og&sa=N&hl=fr&tab=wi&biw=1366&bih=576

2:The Wizard of Oz (1939): http://www.imdb.com/media/rm3447292928/tt0032138

3:The Red shoes (1948): http://www.imdb.com/media/rm3849100800/tt0040725

4: Dictionnaire des mots et expressions de couleur du XXe siècle de Annie Mollard-Desfour – Linguiste ed CNRS

5: http://www.journaldunet.com/management/marketing/interview/olivier-saguez/1.shtml

6: Arrêt du 22 juin 1976, Terrapin / Terranova (119-75, Rec._p._01039)

7: arrêt CJCE du 6 mai 2003 affaire C-104/01, Libertel Groep BV c. Benelux Merkenbureau

http://oami.europa.eu/fr/office/aspects/communications/06-03.htm

8: Arrêt Parke Davis C Empires Laboratoires Limited (1964) RCS 351 –45

9: Marques Louboutin : http://bases-marques.inpi.fr/Typo3_INPI_Marques/marques_resultats_liste.html?page=2

10: décision EDEN SHOES:http://www.pmdm.fr/wp/2011/04/11/les-semelles-rouges-de-louboutin-une-marque-de-position-ou-presque/

11:Arrêt ZARA du 22 juin 2011: http://base-jurisprudence.inpi.fr/cindocwebjsp/temporaryfiles/tB852/DL_007559/M20110367.pd“

12: Louboutin v YSL –  District Court of NY 10 august 2011 http://www.leagle.com/xmlResult.aspx?xmldoc=In%20FDCO%2020110810000T.xml&docbase=CSLWAR3-2007-CURR

13 http://ipkitten.blogspot.com/2011/08/update-from-amerikat-louboutin-sees-red.html et http://www.thecourt.ca/2011/08/15/the-ultimate-shoe-down-christian-louboutin-s-a-v-yves-saint-laurent-america/

14 “Un éléphant peut tromper …..énormément”    précédent billet

2 réflexions sur “Talons aiguilles … Alerte rouge…

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