Cela fait un peu plus d’un an que l’ICANN1 a permis l’adoption de nouvelles extensions pour les noms de domaine génériques ( new gTLD). Outre les classiques extensions .com, .net, .org ou pour les zones géographiques .eu, .fr, .ca etc , viennent désormais s’ajouter une série d’autres extensions soumises par des entités diverses qui demandent à l’ICANN d’être admis à titre de registre (gestionnaire et responsable ) du nom de domaine proposé.
Ainsi, sont apparues depuis un an, des extensions génériques ( .GALLERY, .INSTITUTE) , géographiques (.NYC, .PARIS) ou encore des extensions pour des marques (.GOOGLE, .APPLE)
Ceci complexifie d’autant les rapports déjà difficiles, existant entre les noms de domaines et les marques, notamment pour éviter un conflit avec les droits antérieurs de certains.
Afin de pallier ces risques, l’ICANN a mis en place un certain nombre de dispositifs pour faire valoir ces droits.
Ainsi, a été créée une Sunrise period qui permet de bénéficier d’une priorité de dépôt pendant 30 jours pour les titulaires de droits antérieurs, lorsque qu’une nouvelle extension vient d’être admise.
Un service de réclamation pendant 90 jours après la sunrise period a également été conçu pour informer les titulaires de marques des risques de conflit potentiels avec un nom de domaine déposé avec ces nouvelles extensions.
Enfin, il existe une procédure non judiciaire de suspension rapide –URS – des noms de domaines litigieux. Pour cela, une base de données mondiale des marques est en cours de constitution, la TMCH ( trademark Clearinghouse). IBM et le cabinet DELOITTE ont été désignés par l’ICANN pour constituer cette base de données. L’un des premiers titulaires de marques à bénéficier du service URS fut … IBM qui a fait supprimer, par cette procédure, les noms de domaine “ibm.guru” et “ibm. ventures” en 6 jours . Facebook également a fait suspendre le nom de domaine “facebok.pw” en 5 semaines.
Faut-il pour autant se précipiter pour faire enregistrer sa marque dans cette base de données TMCH ?
Outre le fait que l’inscription n’est pas gratuite ( 150 US$ par marque et par an), cela dépend de sa stratégie de d’exploitation et de défense de ses marques. Il faut donc s’interroger sur l’opportunité de l’adhésion pour chaque marque de son portefeuille. Par ailleurs, certains remettent en cause la neutralité du système de gouvernance de l’ICANN et plus particulièrement la TMCH.
De plus, nul besoin d’adhérer à la TMCH pour bénéficier de la procédure URS. Toutefois, elle ne concerne que les litiges portant sur des signes quasi identiques et non pas les signes similaires.
Il ne s’agit pas cependant du seul moyen de faire valoir ses droits que ce soit sur une marque ou un nom de domaine.
Tout d’abord, rappelons que le centre d’arbitrage de l’OMPI permet toujours de porter un différend sur un nom de domaine suivant les règles de L’UDRP. Rapidité, efficacité et moindre coût ont fait le succès de cette procédure arbitrale.
Ainsi récemment, un litige portant sur le nom de domaine “quebec.com” a été évoqué devant cette instance arbitrale. Le Gouvernement de la Province du Québec souhaitait opposer l’antériorité de ses marques figuratives canadiennes “QUEBEC et dessin” et de ses marques américaines “BONJOUR QUEBEC” et “QUEBEC ORIGINAL”.Toutefois, il a été décidé qu’il ne pouvait revendiquer de protection sur le seul terme “QUEBEC”, lequel, utilisé seul est un terme descriptif insusceptible, en tant que tel , de protection. Les arbitres de L’OMPI ont estimé que le nom de domaine avait été enregistré en 1998 et utilisé de bonne foi. Ils ont donc maintenu son statut.
L’URDP reste même compétent pour statuer sur les conflits portant sur les nouveaux gTLD. Une décision concernant une nouvelle extension “.delmonte” a pu ainsi être bloquée pour risque de confusion avec la marque américaine DEL MONTE et ses 177 autres marques affiliées, déposées dans d’autres pays .
Une autre décision a été rendue en mars dernier, relative, non pas à la licéité de la nouvelle extension désignée (.bike) , mais au nom de domaine “canyon.bike” ensuite déposé à partir de cette extension.
Au Canada, il existe une procédure réservée aux litiges portant sur les noms de domaines dont l’extension est en “.ca”, le CRDP gérée par le CIRA2 . Mais la démonstration de la mauvaise foi du prétendu contrevenant, condition de recevabilité de l’action du demandeur, en limite un peu la portée.
Les tribunaux judiciaires, quant à eux, restent toujours compétents pour statuer sur les questions de validité d’une marque ou de cybersquatting.
En France, il vient d’être jugé par la Cour d’appel de Bordeaux, le 10 mars 2014 qu’un nom de domaine, même exploité, (alphazome.com) ne suffit pas à faire la notoriété d’une marque non déposée , ainsi que le rapporte le site Legalis.net .
Début janvier 2014, il a été jugé, à Paris, qu’un nom de domaine, pour constituer une antériorité opposable à une marque déposée, doit être exploité. ( mazaldiamond.com). Ce n’est donc pas la date de dépôt du nom de domaine qui compte mais celle de début de son exploitation.
Ceci rejoint les principes posés par la jurisprudence canadienne, rappelés dans une décision du 6 mars 2014 relative à la marque ‘’”sportsline”: “le simple enregistrement d’un nom de domaine ne constitue pas un emploi d’une marque de commerce” au sens de la loi canadienne sur les marques de commerce.
Au niveau Communautaire, il vient d’être jugé que déposer comme marque un nom de domaine n’est pas toujours judicieux. Vient d’être annulée la marque “showroomprivé.com” pour les services de la classe 35 en raison de son caractère descriptif. Un appel est toutefois en cours devant la Cour de justice Européenne.
Une réflexion générale sur les problèmes posés par l’expansion des noms de domaines et les risques accrus de cybersquatting , a été publiée le 17 mars 2014 par l’OMPI : “La multiplication des adresses Internet potentielles découlant du lancement prévu de 1400 nouveaux gTLD obligera les propriétaires de marques à définir leurs priorités en matière d’enregistrement et de protection”
Et pour conclure, une pensée de Jules Renard3, à la limite du truisme : “pour se faire un nom, il faut être connu”. Rappelons que ce dernier avait écrit un roman sur l’ancêtre du cybersquatteur: “l’Écornifleur”.
M.D. le 27 mai 2014
1: ICANN: Internet Corporation for Assigned Names and Numbers est une organisation privée qui gère au niveau mondial l’accès à l’internet.
2: voir la chronique de Geneviève Bergeron: Révision de la jurisprudence marquante relative aux noms de domaine .ca à la suite des modifications apportées à la Politique de règlement des différends – Volume 375 – Développements récents en droit de la propriété intellectuelle (2013)
3:Écrivain français mort en 1910 qui publia en 1892 un roman intitulé : “L’écornifleur”…
Pour aller plus loin:
American Bar Association – revue Landslide- The Uniform Rapid Suspension System: a new weapon in the war against cybersquatters : par James L. Bikoff, David K. Heasley, Griffin M. Barnett , Valeriya Sherman, Justin Miller
IRPI: TMCH un nouveau dispositif incontournable pour la protection des marques sur Internet par Patrick Hauss – 26 février 2014
Du nouveau à propos des noms de domaines génériques par Delphine Bastien – 21 janvier 2014
Remerciements:
A ma mère, Marie-France, pour les droits d’utilisation de sa photo de la Tour Eiffel.