Les histoires de Trolls – ces créatures fantastiques vivant dans les forêts, tirés de la mythologie scandinave – qui peuplent certains contes pour enfants, ne sont pas toujours drôles.Theodor Kittelsen Skogtroll, 1906 (Forest Troll)*
Pourtant, l’étymologie de “drôle” vient du néerlandais “drolle” qui désigne un lutin joyeux et bon vivant. En remontant vers la Scandinavie, le “Drolle” est devenu Troll et a perdu de sa bonne humeur, surtout vis à vis du genre humain.
Ces monstres peu sympathiques ont également envahi le monde des adultes à l’ère de l’immatériel. Old mountain Troll : John Bauer –1904-*
Ainsi , seront appelées Trolls, les personnes qui infiltrent les forums de discussion, les blogs sur Internet, de commentaires déplacés – voire malveillants – ayant pour but de faire de la polémique ou de déstabiliser une communauté d’internautes.
Mais c’est surtout dans le domaine de la propriété intellectuelle que ces êtres malicieux se sont développés. Les premiers, dans le domaine des brevets “les patents Trolls”. Ce sont généralement des sociétés de gestion qui se sont constituées des portefeuilles de brevets dans le domaine de l’informatique ou des méthodes commerciales, dont la brevetabilité réelle est parfois discutable.
Ces entités observent les entreprises des secteurs d’activité concernés , et une fois le titre de brevet en “portefeuille”, le patent Troll “sort de sa forêt” et les menacent de poursuites en contrefaçon de brevet. Pour échapper à un procès long et surtout onéreux, un accord de licence, moyennant paiement de royalties, peut être conclu. Cette solution est souvent retenue par des entreprises qui préfèrent concentrer leur énergie à leur développement plutôt qu’à des batailles d’experts aux issues judiciaires incertaines.
Devant l’abus de certaines pratiques, une résistance se développe. Récemment, une affaire opposant un puissant “patent Troll” du Texas à de paisibles entrepreneurs du Vermont,
Vermont: Lake Champlain, vue depuis Burlington,
a défrayé la chronique judiciaire …ainsi que le rapporte notamment le site du IPKAT.
L’objet du litige portait sur la prétendue violation de brevets portant sur l’utilisation des scanners de documents, réclamant à toutes entreprises utilisant un scanner, une licence d’utilisation des brevets dont il fournissait une liste…moyennant le paiement de sommes comprises entre 900 et 1200 $. A défaut, les destinataires de la missive se voyaient menacer de poursuite devant un tribunal fédéral à propos de ces brevets. L’État du Vermont a toutefois volé au secours de ses résidants en engageant une poursuite, au niveau local, contre l’entrepreneur Texan en violation de la règlementation locale de consommation et concurrence, pour envoi de communication trompeuse –les actes de contrefaçon n’étant pas explicités – et réclame au Patent Troll , 10.000 $ par lettre envoyée….
Une astucieuse façon de combattre , au niveau local, l’omnipotence de ces patent Trolls. Contester la validité du brevet au niveau fédéral restait l’autre alternative. C’est ce que fit, avec succès, un entrepreneur de la région d’Atlanta, pour une question de principe. Encore faut-il en avoir les moyens…
La législation fédérale américaine est assez peu intéressée par ces questions, plus préoccupée de se concentrer sur les procédures d’octroi de brevets. Il faut rappeler que les USA sont le pays qui enregistre le plus de brevets chaque année… et IBM le plus grand déposant au niveau mondial avec plus de 67.000 brevets (entre 1993 et 2012). Il s’agit donc de sources de revenus non néglgeables.
La technique du patent troll s’est déportée vers les marques de commerce et les droits d’auteur.
Récemment, un ‘”Trademark Troll” américain a vu qu’il pouvait lui en coûter pour ce genre de pratiques puisque ces marques ont été annulées par l’USPTO américain. Il avait enregistré, sur la base de fausses preuves d’usage, semble t-il, une famille de marques autour du terme “EDGE” pour des jeux vidéos et poursuivait toute entreprise du même secteur qui utilisait cette marque.
Concernant les droits d’auteur, Internet a manifestement ouvert les portes aux “copyrights Trolls”. Ainsi, ces entités envoient des missives de masse à des internautes, les enjoignant de payer des sommes d’argent pour régulariser le téléchargement de musique ou de film, notamment . 2000 dollars parfois, sont demandés … pour échapper à un éventuel procès.
L’abus de ces procédures expéditives a été rudement mis à l’épreuve par certains tribunaux américains, les juges considérant que le motif principal des actions étaient, non pas de faire respecter des droits d’auteur, motif louable en soi, mais de faire pression sur des gens pour obtenir, rapidement et en violation de leurs droits élémentaires, des paiements en les menaçant de procédures judiciaires longues et onéreuses.
Ces actions portaient également atteinte à la défense en “fair use” (usage équitable) que pose le droit américain pour l’utilisation de droits d’auteur et dont les contours peuvent être très larges. ( cf affaire Cariou v. Richard Prince –Gagosian).
Des groupes de défense contre les copyrights Troll se sont constitués aux USA pour venir au secours des destinataires de ces missives.
Les actions des Trolls se sont, dès lors, déportées vers le Canada, ainsi que le relèvent la revue MacLean’s et le journal Globe and Mail. Ils ont signalé des actions menées par la société CANIPRE, laquelle tente d’obtenir en justice, pour le compte de ses clients, la divulgation d’adresse IP de la part de fournisseurs de services Internet, afin de pouvoir poursuivre les utilisateurs.
Toutefois, avec le WIFI, il est très facile pour un tiers, voisin ou visiteur de passage de se connecter à votre réseau, ou de se connecter, via un serveur Proxy à une autre adresse IP pour naviguer sur le web sans (trop) laisser de trace. Doit-on pour autant être responsable d’actes que l’on a pas personnellement commis ou qui ont été commis à notre insu ?
Ces questions relèvent d’un débat judiciaire, dont certains Trolls veulent priver leur cible en exigeant le paiement de sommes d’argent pour leur éviter un procès.
Ces pratiques ne sont pas encore arrivées sous cette forme extrême en France, puisque ce type de mises en demeure, adressées outre atlantique, exigeant un paiement pour éviter un procès est passible du délit d’extorsion de fonds.
Par ailleurs, une autorité judicaire doit être saisie pour restreindre les droits des internautes, ainsi qu’en a décidé le Parlement Européen en date du 6 mai 2009.
La Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet dite …HADOPI… l’a appris à ses débuts chaotiques puisque la loi mettant en place, cette institution fin 2009, a dû être retoquée. …De plus, elle est, semble t-il, vouée à disparaître vu son efficacité limitée et son coût de fonctionnement : 10 à 12 millions d’euros par an …pour une seule condamnation à 150 euros d’un internaute….
Difficile de trouver un juste équilibre juridique quand le déséquilibre économique domine le débat. Les pouvoirs législatif et judiciaire doivent veiller à rechercher ou faire respecter cet équilibre pour éviter que le citoyen ne se fasse plumer !
Drôles d’oiseaux que ces Trolls !
M.D le 29 mai 2013
* Source gravures de Trolls : www.commons.wikimedia.org
Pour aller plus loin, voir également:
The 1709 blog du 17 mai 2013 A plague of Troll
“Copyright Troll and the presumption of fair use” Brad Greenberg
Patent trolls: face à l’invasion des lutins, comment réagir? Bertrand Sautier
Very interesting, very informative, and not so funny when one considers the implications of this now use of the word Troll !
Une petite précision sur la politique américaine qui semble vouloir évoluer sur cette question de patent Troll, sous la présidence OBAMA
http://mobile.theverge.com/2013/6/4/4393958/president-to-take-aim-at-patent-trolls-with-executive-actions?utm_source=Triggermail&utm_medium=email&utm_term=10%20Things%20In%20Tech%20You%20Need%20To%20Know&utm_campaign=Post%20Blast%20%28sai%29%3A%2010%20Things%20You%20Need%20To%20Know%20This%20Morning
et un nouveau cas de Patent troll visant Apple dans des circonstances assez suspectes….
http://arstechnica.com/tech-policy/2013/06/apple-betrayed-by-its-own-law-firm/2/