On a beaucoup parlé du spam en 2014, mais l’automne annonce déjà la couleur de l’hiver 2015… ce sera très soft pour le thème de ce feuillet… un retour sur certains points du droit autour du logiciel et son environnement.
– So soft…
Après la lecture de mon billet sur le SPAM, vous pensiez tout savoir ou presque sur la loi anti-pourriel entrée en vigueur au Canada en juillet 2014 ? Il ne faut cependant pas oublier le second volet relatif aux installations de logiciels sur les ordinateur de tiers. Cette partie de la loi entre en vigueur le 15 janvier 2015 et ne concerne pas que les Canadiens.
Les installations commerciales de programmes réalisées au Canada depuis l’étranger sont affectées par cette loi, ainsi que toute installation effectuée depuis le Canada vers l’étranger…
En bref, il convient d’obtenir le consentement exprès de l’utilisateur habilité avant installation… et notamment son adresse email et ses qualités et lui exposer la nature du programme à installer, outre une procédure de retrait des consentements. Par ailleurs, cette procédure est applicable aux mises à jour et nouvelles versions du programme initial.
Enfin, si le programme inclut les fonctionnalités suivantes ( article 10 (5) de la loi ) :
“a) la collecte de renseignements personnels sur l’ordinateur;
b) l’entrave au contrôle de l’ordinateur par le propriétaire ou l’utilisateur autorisé de celui-ci;
c) la modification des paramètres, préférences ou commandements déjà installés ou mis en mémoire dans l’ordinateur ou l’entrave à leur utilisation, à l’insu du propriétaire ou de l’utilisateur autorisé de l’ordinateur;…..”
Il faudra au préalable en informer le destinataire et recueillir son consentement. Quelques exceptions limitativement énumérées permettent de recueillir de façon implicite le consentement de l’utilisateur mais vu le montant des sanctions … mieux vaut bien lire et comprendre la loi avant de penser installer un tel programme.
Hélas, il est à craindre que cela ne dissuade guère les propagateurs de virus et autre malware ou spyware !
– Alice… au pays des merveilles
J’avais déjà évoqué sommairement la décision de la Cour Suprême américaine Alice corp.v. CLS Bank ( 19 juin 2014) dans un précédent billet. La Cour Suprême par cette décision met un frein à la brevetabilité des méthodes conceptuelles. Quelques précisions sont à apporter sur l’incidence de cette décision sur l’avenir de la brevetabilité des logiciels aux USA.
La demande de brevet en question portait sur trois éléments combinés : une méthode financière, un système informatique configuré pour appliquer cette méthode et un logiciel pour l’exécuter.
La Cour va appliquer le test suivant pour déterminer si l’invention est brevetable:
– déterminer si les revendications portent sur des objets exclus de la brevetabilité
(notamment une idée abstraite)
– évaluer tant individuellement que la combinaison ordonnée des revendications afin de déterminer si elle transforme en une invention un objet décrit non brevetable.
Sa conclusion est qu’une idée abstraite ne peut être brevetée du seul fait de son association avec programme informatique générique, dont il ne résulte aucune fonction spécifique. La Cour va estimer qu’une idée abstraite, une méthode qui décrit un modèle d’affaire exécuté aux moyens de composants informatiques génériques n’est pas brevetable.
De là à en conclure que les logiciels ne seraient plus brevetables… il n’y a qu’un pas … que la Cour Suprême n’a cependant pas franchi dans cette décision.
Certaines fonctionnalités des logiciels restent néanmoins brevetable aux USA, sous réserve des critères de nouveauté, de non évidence et d’utilité. On se souvient de la polémique soulevée autour du brevet “double clic” délivré à Microsoft en 2004.
Au Canada, c’est un brevet “simple clic” qui a été délivré à Amazon en 2012 à la suite d’un examen “ téléologique” des revendications du brevet prescrit par la Cour d’appel Fédérale.
Amazon a eu moins de succès avec les instances européennes qui ont rejeté sa demande de brevet, à ce jour.
Reste la protection en Europe au titre du droit d’auteur pour les logiciels…sous réserve que l’on ne tente pas de revendiquer des droits sur les fonctionnalités ainsi que l’a rappelé la Cour Européenne de justice dans un arrêt du 2 mai 2012 SAS Institute Inc. c. World Programming Ltd. Elle précise:
“ ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme et ne sont, à ce titre, protégés par le droit d’auteur sur les programmes d’ordinateur au sens de cette directive.”
Ces différences importantes de régime juridique entre des pays ayant de nombreux liens économiques entre eux, n’est pas sans poser de difficulté. Cela entretient la confusion auprès des professionnels du secteur. Une harmonisation en la matière serait souhaitable mais difficilement envisageable à court terme, vu le nombre de brevet logiciel en vigueur encore à ce jour. En @005, le Parlement Européen a rejeté la proposition de directive sur la brevetabilité des logiciels.
– Sésame ouvre toi !
Cette formule magique pourrait être le sous titre d’une jurisprudence de la Cour d’appel de Versailles rendue le 25 mars 2014, et rapportée par le site Legalis.net. Elle a été rendue à propos de l’étendue de l’obligation de conseil, d’un prestataire chargé de la maintenance informatique, de changer les mots de passe confidentiel de son client. Dans la décision rendue, la Cour constate que la société de maintenance avait pourtant informé son client de cette nécessité: “qu’elle a, en outre, lors de son intervention, informé la société les Films sur la nécessité de protéger l’installation par un mot de passe confidentiel, lequel devait être changé régulièrement”.
Cependant, la Cour va aller plus loin que cette simple obligation contractuelle d’information: “qu’il appartenait à la société UTT, notamment à l’occasion des visites annuelles auxquelles elle devait procéder, de vérifier l’état de sécurisation de l’installation téléphonique de sa cliente et de vérifier que celle ci utilisait l’installation dans des conditions optimales de sécurité et d’efficacité qu’elle devait s’assurer qu’elle était informée de la nécessité de modifier son mot de passe régulièrement…..
Qu’il résulte de ces éléments que la société Les Films est fondée à rechercher la responsabilité de la société UTT qui a manqué à ses obligations contractuelles en ne lui donnant pas les moyens d’éviter le piratage dont elle a été victime”
La Cour va donc au delà de la simple obligation d’information formulée dans les contrats et impose au prestataire l’obligation de vérifier concrètement que les mesures de sécurité préconisées ont été effectivement mises en oeuvre. Jurisprudence sévère pour les professionnels du secteur… pas très soft !
Pour conclusion ce feuillet d’automne, autour certes de la protection des logiciels et de leurs utilisateurs, mais plus généralement des idées et du poids des mots, je citerai le mot du poète Stéphane Mallarmé au peintre Degas “ Ce n’est pas avec des idées que l’on fait des vers, c’est avec des mots” .
M.D. le 21 octobre 2014
Pour aller plus loin:
WIPO : la protection par brevet des logiciels
OEB : Des brevets pour les logiciels ? droit et Pratiques en Europe
ouch, les choses se compliquent, surtout pour les laÏques…
Merci pour cette note claire et concise. Bravo!