Voici un billet qui défriche quelques jurisprudences de ces derniers mois, pour ceux qui auraient pris la clef des champs. Une feuille de chou estivale, en quelque sorte.
Des vertes et des pas mûres!
Allusion à deux décisions rendues par l’OEB[1] en date du 25 mars 2015. Par ces décisions, l’OEB vient d’autoriser les brevets portant sur des variétés de fruits et légumes (Brocoli et tomates en l’espèce) obtenus par croisements et sélection naturels. Une aubaine pour les acteurs du secteur agroalimentaire.
Pourtant, les brevets portant sur les procédés essentiellement biologiques sont interdits en Europe. Jusqu’à présent, seules les variétés OGM pouvaient être brevetés en Europe. La position de l’OEB semblait pourtant claire en matière de brevetabilité du vivant jusqu’en 2014 : Exclusion des brevets sur les plantes.
L’interdiction a été contournée en faisant porter le brevet sur le produit obtenu au lieu du procédé !
Les conséquences ? Les producteurs qui voudront utiliser ces semences devront accepter les conditions du titulaire du monopole conféré par le brevet.
En Europe, la protection habituelle des espèces végétales nouvelles, créées ou découvertes s’effectue par l’obtention d’un Certificats d’Obtention Végétale (COV). Or, les droits du titulaire d’un COV sont moins étendus que ceux conférés par un brevet.
Les conditions d’obtention du COV sont, de plus, différentes de celles du brevet: la variété végétale doit notamment « se distinguer nettement de toute autre variété dont l’existence, à la date du dépôt de la demande, est notoirement connue » et doit être « soumise à un examen technique de distinction – homogénéité – stabilité … ».
Prise de chou assuré dans le milieu agricole où il est de tradition millénaire de réutiliser les semences … et du grain à moudre pour les juristes de tous bords car la Cour Européenne de Justice pourrait être saisie par cette question, selon l’enquête de TV5 Monde.
Une noix pour les consultants à Grenoble
La Cour d’appel de Grenoble vient de rendre une décision en date du 4 juin 2015, publiée sur le site Legalis.net, relatif à l’annulation d’un contrat de prestations informatiques. Cette décision est surtout intéressante au regard de la responsabilité du consultant qui a recommandé le choix du prestataire. Il s’agit principalement de l’obligation de conseil et d’assistance des consultants en matière informatique.
La Cour rappelle l’importance d’établir un cahier des charges détaillé des besoins d’un client dans les projets informatiques et sanctionne par la nullité des conventions, le non respect de l’obligation de conseil et d’assistance qui pèse sur le consultant, Ce dernier se devait d’informer sa cliente de la nécessité d’établir un tel document pour la bonne conduite du projet de développement d’une solution spécifique.
La carence du consultant a été ainsi caractérisée par la Cour :
Manquement grave à « son obligation de conseil en ne procédant pas à un appel d’offres avant de sélectionner le développeur, dont elle n’a pas vérifié qu’il disposait de l’expérience et des compétences requises dans le domaine spécifique des logiciels de gestion de biens immobiliers. »
Manquement à « son obligation d’assistance en ne formalisant pas en amont un cahier des charges précis exprimant l’ensemble des besoins du client, avec pour conséquence un dépassement très important du délai de livraison dès lors que les besoins ont dû être définis progressivement au fur et à mesure de l’avancement des travaux »
La fin des haricots pour le consultant et le prestataire qui ont été respectivement condamnés à indemniser le préjudice subi par le client, et, à rembourser à ce dernier les sommes qu’il avait payées pour la réalisation des prestations.
La pomme de discorde
Le Canada et notamment la province de Québec sont réputés pour la production de pommes. Recommandées à l’état nature pour la santé, c’est pourtant sa forme alcoolisée qui va attiser les convoitises.
Un différend est survenu entre une entreprise de production de cidre et liqueur de pommes notamment, Le Domaine Pinnacle, installée à l’ombre du Mont Pinnacle, dans les Cantons de l’Est, et un distributeur américain de vodka aromatisée, fabriquée en France . Le litige porte principalement sur le dépôt et de l’utilisation des marques non enregistrées ou enregistrées « Domaine Pinnacle », « Pinnacle Vodka » ou encore « Pinnacle ». Les parties ont intenté de multiples actions judiciaires (opposition de marque, action en passing off/ concurrence déloyale etc.)[2] devant les Cour fédérale et provinciale, avant de se rapprocher pour tenter de mettre un terme à leur différend.
L’enjeu est de taille puisque, sur le plan international, la marque « Pinnacle Vodka » aurait été acquise en 2012 pour 600 millions USD, selon le Wall Street Journal.
Il n’est cependant pas toujours aisé de mettre derrière soi des années de procédure. C’est ce qui ressort du jugement rendu par la Cour Fédérale le 26 mai dernier.
Les parties s’étaient mises d’accord pour mettre un terme à leurs différentes actions intentées devant les instances fédérales. Toutefois, silence de l’accord sur les instances judiciaires pendantes devant la Cour Supérieure du Québec, juridiction provinciale.
Le juge de la Cour Fédérale fut saisi pour forcer le distributeur de vodka à se désister de son action reconventionnelle devant cette même cour, en vertu de l’entente intervenue. Or ce dernier refusait de s’exécuter tant que son opposant ne produit pas son désistement d’action et d’instance devant la cour provinciale.
Il s’agissait pour la Cour de déterminer si « l’acceptation inconditionnelle d’une offre de règlement finale …a mis fin au présent litige devant la Cour Fédérale et constitue une transaction liant les offrants ».
L’entente étant inconditionnelle, acceptée par chaque partie et dépourvue d’ambiguïté, la Cour Fédérale a donc jugé qu’il s’agissait d’une transaction valable… limitée à son objet, à savoir le désistement d’action devant la cour fédérale. De surcroît, la Cour Fédérale ne pouvait accepter un désistement devant une Cour provinciale.
En conclusion, la préparation d’une entente mettant un terme à un litige ne doit pas se conclure dans la précipitation et chaque terme utilisé dans l’accord doit être soupesé …comme un kilo de pommes !
Passez, Muscade !
Le Gouvernement de l’Inde vient d’annoncer que la citation comme antériorité de sa base de donnée sur le savoir traditionnel – TKDL – avait permis l’annulation d’une demande de brevet portant sur une solution bain de bouche à base d’une combinaison d’herbes et d’épices.
Après le curcuma et la racine de Neem pour lequel un débat était déjà intervenu, c’est au tour de la mystérieuse myristica de faire débat. Cette épice est plus connue sous le nom de noix de muscade.
Cette plante étant utilisée depuis très longtemps dans la médecine Ayurvédique notamment, pour un usage dentaire, l’Inde voyait d’un mauvais œil la venue sur le marché d’une solution rince bouche brevetée.
Des commentateurs avertis de la « Perfide Albion » ont cependant émis des doutes sur l’influence de la citation du gouvernement Indien sur l’annulation de cette demande de brevet. La polémique ne fait que commencer…
Une affaire à suivre manifestement épicée…
Ainsi s’achève cette chronique estivale à tendance bucolique.
« Il faut cultiver notre jardin » écrivait Voltaire à la fin du conte philosophique « Candide ou l’Optimiste »[3].
Une conclusion qui invite tant à l’action qu’à la réflexion !
M.D. Le 30 juillet 2015
[1] Office Européen des Brevets
[2] Pour une affaire similaire portant sur le risque de confusion aux USA de la marque Pinnacle en lien avec des boissons à base de pomme avec la marque US Pinnacles Ranches déposée pour du vin. Le Bureau des Oppositions US a jugé en l’espèce qu’il n’existait pas de risque de confusion.
[3] Une présentation originale de l’œuvre de Voltaire est effectuée sur le site de la BNF
Bonjour Marianne, c’est toujours un plaisir de te lire, j’aime notamment les 2 premiers articles (sur les semences qui décrivent bien la dérive mondialiste) et sur le conseil des intermédiaires ….
Bonne continuation
Eric
Merci Marianne pour vos articles finement ciselés. Quel délectation de vous lire. Je suis presque frustré d’arriver si vite à la fin.
Amicalement.