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Pour mon retour sur la toile, après de long mois d’absence, la question de réforme de la loi sur les contrats, s’imposait car elle affecte notre quotidien en permanence même pendant notre sommeil pour les marchands de rêve.

« Le contrat est la loi des parties [1]» entend-on un peu partout pour parler de la force obligatoire des conventions. Mais, quand la loi régissant les contrats change, qu’advient-il?

En février dernier les sections du Code civil français relatives aux obligations, et notamment aux contrats ont fait peau neuve à la suite de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, « portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations », qui entrera en vigueur au 1er octobre 2016.

Dépoussiérage d’articles qui dataient du Code Napoléon, nous dit-on, après 10 ans de réflexion (travaux préparatoires). Pourtant la lecture du texte même de l’ordonnance suggère davantage. D’autres sciences que juridiques semblent avoir pesé dans la rédaction des textes : de la philosophie aux sciences divinatoires…

Voici quelques morceaux choisis de cette réforme, un billet d’humeur.

  • La morale dans la réforme

La vision moraliste du droit ne date pas d’aujourd’hui: « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit » écrivait Henri Lacordaire au XIX siècle pour justifier l’existence des lois et leur emprise sur la société des hommes.

Faire appel à la morale aujourd’hui, comme aux bonnes mœurs, hier, n’est pas sans risque. Comment les notions suivantes vont-elles être interprétées par les tribunaux ?

L’article 1100, pour définir les obligations, dispose : « Elles peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui »

Comment va être défini le «  devoir de conscience envers autrui » ?

Quel va être le référentiel culturel ?

Les tribunaux ont par le passé introduit cette notion de devoir de conscience en rapport avec une obligation naturelle, en fonction de cas d’espèce, mais devait-on pour autant intégrer le « devoir de conscience » dans la définition de l’obligation ? Souvent, le devoir de conscience va pousser quelqu’un à faire quelque chose, spontanément sur une base ni légale ni contractuelle, et aujourd’hui ce geste volontaire va se transformer en obligation. N’y a t-il pas un danger à voir disparaître cette conscience du geste spontané ?

Par ailleurs, l’article 1100.1 définit ainsi les actes juridiques : « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux.
« Ils obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats. »

Il est fait référence à « la raison », alors même que la réforme va supprimer la cause comme élément de validité du contrat.

Que signifie « en tant que de raison » ? Une autre notion qui va être laissée à l’appréciation des tribunaux.

  • La confiance : un test à l’aveugle ?

Les négociations contractuelles font référence à l’obligation de bonne foi, ce qui confirme la jurisprudence en la matière, mais également à la « confiance » entre les parties. (Article 1112-1)

Qu’est-ce que la confiance ? Elle a pu être définie ainsi d’un point de vue philosophique :

« L’attitude que l’on a à l’égard de ceux que l’on pense connaître suffisamment pour en prévoir le comportement futur[2] »

Par ailleurs faire une confiance aveugle …relève de la crédulité. Et pour ne pas passer pour un benêt dans le monde des affaires, c’est souvent la méfiance qui préside les pourparlers contractuels.

Était-il nécessaire d’introduire le terme ambigu de « confiance » ? Celui de la bonne foi ne suffisait-il pas ?

  • Raisons et sentiments

Un peu plus loin, l’article 1188 sur l’interprétation des contrats, fait référence à une « personne raisonnable » qui remplace la référence désuète du Code Civil actuel au « bon père de famille ».

Or, cette « personne raisonnable » a été définie par la jurisprudence comme étant une personne « prudente et diligente ». Cela signifie que la personne doit être vigilante, elle ne doit pas faire une confiance aveugle. C’est le devoir élémentaire de précaution de tout contractant. Le terme anglo-saxon   « due diligence » vient de cette notion. La prudence et la diligence, si elles ne sont pas antinomiques de la confiance, sont toutefois une terminologie assez éloignée de la confiance.

Dans les PDEC[3], le « raisonnable » est défini ainsi qu’il suit : « Doit être tenu pour raisonnable aux termes des présents Principes ce que des personnes de bonne foi placées dans la même situation que les parties regarderaient comme tel. On a égard en particulier à la nature et au but du contrat, aux circonstances de l’espèce et aux usages et pratiques des professions ou branches d’activité concernées ».

  • Le droit canon de la confirmation.

Après avoir fait appel à la morale philosophique, certains y verront l’influence du christianisme dans cette réforme des contrats.

Ainsi, apparaît la « confirmation » (article 1182) en matière de renonciation à la nullité relative d’un contrat. Et cet article précise même que « la confirmation ne peut intervenir que lorsque la violence a cessé… ». Sommes-nous rassurés pour autant ? Reprenant l’exemple du mariage Corse, maintes fois cité par la jurisprudence pour illustrer la violence dans les contrats, le marié ne peut être conduit à l’autel par le père de la mariée avec un fusil dans le dos. Le mariage est nul.

Mais s’agissant d’une nullité relative, la confirmation peut rendre le mariage valide, le marié « exécute » le contrat et la nuit de noces passée, il consent au mariage et renonce à invoquer la nullité. L’histoire ne nous dit pas si la menace continue de planer dans l’esprit du marié…

« Un baiser légal ne vaut jamais un baiser volé. » disait Guy de Maupassant

La confirmation du contrat nul existe également au Québec et la Cour d’appel a récemment précisé les contours de cette notion[4] dans le cadre d’une transaction qui met fin à la possibilité d‘invoquer la nullité relative de la convention antérieure.

Notons que le contrat (de mariage ou autre) pourra faire l’objet d’une demande de confirmation laquelle peut stipuler que la nullité pourra être invoquée dans un délai de 6 mois à peine de forclusion (article 1183). Il faut quand même que la cause de la nullité ait cessé pour commencer à computer le délai.

  • L’influence de Marx et Nostradamus

L’article 1195 fait référence au droit à la renégociation d’un contrat en cas de survenance d’un changement imprévisible qui rendrait l’exécution du contrat « excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas acceptée d’en assumer le risque ».

Ce changement imprévisible est-il distinct de la force majeure ? Jusqu’au 1er octobre 2016, la force majeure est définie comme étant un évènement imprévisible, irrésistible et étranger. Un « Act of God », comme disent les juristes anglo-saxons. La religion est « l’opium du peuple » disait Karl Marx

. A partir du 1er octobre, cette force majeure, est définie ainsi qu’il suit par L’article 1218 : « …événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu au moment de la signature du contrat… » Habituellement, on incluait dans la clause de force majeure les, grèves, actes de terrorisme, les tremblement de terre et autres tsunamis…

Beaucoup d’avocats avaient déjà plaidé que les grèves, en France, n’ont rien d’imprévisible… mais quand est-il aujourd’hui des attentats et ou des tremblements de terre quand on réside sur une zone sismique ? Devrons nous faire appel à Nostradamus  dans un prétoire pour s’opposer à la force majeure ?

  • Figures de style

Les rédacteurs de l’ordonnance, après avoir puisé et épuisé dans les références philosophiques et spirituelles, se sont tournés vers les figures de style :

– On y trouve des faux amis:

L’article 1229 traite de la résolution du contrat en cas d’inexécution des obligations contractuelles. Anciennement, on distinguait ce terme de celui de la « résiliation »

Le dictionnaire Larousse définit ainsi qu’il suit la résolution : « destruction pour le passé et l’avenir d’un contrat valable », et le terme « résiliation » : « extinction des effets d’un contrat au cours de son exécution ».

A compter du 1er octobre la distinction est rendue plus confuse : La résolution n’anéantit plus le contrat pour le passé et l’avenir, mais juste pour l’avenir si une clause résolutoire insérée dans le contrat ne vient pas préciser que le contrat peut être anéanti depuis son origine ou par la volonté du juge. L’article poursuit toutefois ses explications en précisant in fine, que lorsque la résolution ne produit des effets que pour l’avenir, alors on l’appellera « résiliation » …de quoi en perdre son latin !

– L’ oxymore (ou oxymoron, encore plus parlant pour les anglophones) fait son apparition à l’article 1308 qui traite des “obligations ….facultatives”

Là encore, retournons à notre bon vieux Larousse : le terme obligation est défini ainsi : « Contrainte imposée par une loi, un règlement, lien de droit par lequel une personne est tenu de faire ou de ne pas faire quelque chose »

Pour le Dictionnaire de droit privé : point d’obligation facultative…

Le terme « facultatif » , quant à lui : « qu’on a la liberté de faire ou de ne pas faire »

Dans l’article 1308, cette obligation d’un nouveau genre…une « trans obligation », en quelque sorte dispose que “ L’obligation est facultative lorsqu’elle a pour objet une certaine prestation mais que le débiteur a la faculté pour se libérer d’en fournir une autre.

Ne serait-on pas en présence d’une obligation alternative ?

La réponse est négative car ce type d’obligation est défini par l’article 1307 : « L’obligation est alternative lorsqu’elle a pour objet plusieurs prestations et que l’exécution de l’une d’elle libère le débiteur ». Dans le cas de l’obligation alternative, une obligation est principale, l’autre est secondaire alors que dans l’obligation alternative, les deux sont au même niveau.

Il doit s’agir alors du « surclassement ». Vous avez réservé un billet d’avion en classe économique, le transporteur a vendu plus de places que prévu et pour honorer son contrat, il vous propose gratuitement une place en classe affaire.

Mais ne risque t-on pas d’ouvrir la porte au « déclassement » si le contractant prévoit une clause permettant de remplacer son obligation par une autre de moindre valeur ? Cette obligation complexe qui existe dans le code civil du Québec depuis de nombreuses années (article 1552) est commentée ainsi qui suit par la doctrine : « L’obligation facultative apparaît comme une résurgence d’intérêt douteux en regard de pratiques de commerce interdites2 ».

Un article à surveiller de près, d’après l’expérience québécoise !

Par ailleurs, le texte de l’article 1308 du code civil français, cette fois, poursuit en précisant : «  L’obligation facultative est éteinte si l’exécution de la prestation initialement convenue devient impossible pour cause de force majeure » Mais quand est-il de celle de remplacement ? Pourquoi prévoir une telle clause si justement quand on en a besoin (force majeure), on ne peut pas s’en servir ? »

Dura lex, sed lex[5].

Cependant, pour une bonne administration de la justice, il est préférable, avant de s’en remettre à l’interprétation des termes par les tribunaux, de disposer de textes clairs, dépourvus d’ambiguïté.

Le Barreau du Québec fait un effort louable en ce sens, en proposant un guide sur le « Langage clair ». Un texte qui devrait être le livre de chevet pour les législateurs de tous pays.

M.D. le 11 avril 2016

[1] Pacta sunt servanda (locution latine)

[2] Gilles Richard « de la confiance » L’enseignement philosophique,
mai-juin 2000, 50e année n°5

[3] Principes de Droit Européen des Contrats, qui ont influencé en partie cette réforme

[4] QCCA 18 Janvier 2016 Presse café Franchise c. Desmarais et autres

[5] La loi est dure mais c’est la loi ! (Locution latine)

2 réflexions sur “La loi du contrat: bien choisir sa foi !

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