La navigation sur le Net permet d’accéder à une multitude d’informations et de données. La création de liens hypertextes fait aujourd’hui partie intégrante de l’écriture sur le Net car elle permet d’alléger un texte en proposant plusieurs degrés de lecture. Elle facilite également l’accès aux références visés dans le texte. D’un simple clic, le lecteur peut, en effet, accéder aux données, lorsqu’un hyperlien a été inséré dans le texte. Dans un précédent billet, j’avais évoqué les risques que certains prenaient en donnant accès, par un simple clic, à des sites de téléchargement illicites.
La plupart des liens renvoient plus souvent vers des sites dont le contenu est licite mais peuvent donner accès à des oeuvres protégées ( texte, photo, vidéo, musique etc,) par les droits d’auteur. Ces droits sont, pour la partie économique, principalement le droit de reproduction de l’oeuvre et le droit de communication au public.
Le titulaire du droit d’auteur disposant du droit de communication de son oeuvre au public, la question s’est posée de savoir si la création d’un lien donnant accès à une oeuvre protégée requiert le consentement du titulaire du droit d’auteur. A défaut, cette action engage t-elle la responsabilité du responsable de la publication du lien ?
Les réponses diffèrent en fonction des juridictions saisies de cette question, la CJCE1 venant de donner un nouvel éclairage à cette question.
Pour mémoire, au Canada, la Cour Suprême, a écarté la responsabilité d’un blogueur qui avait créé un lien pointant vers un contenu argué de diffamatoire, dans une décision Crooke c. Newton, rendue en octobre 2011, en l’absence de communication du contenu du lien.
A cette occasion , la Cour Suprême a rappelé :
“Les hyperliens constituent essentiellement des renvois, qui diffèrent fondamentalement d’autres actes de « diffusion ». Tant les hyperliens que les renvois signalent l’existence d’une information sans toutefois en communiquer eux‑mêmes le contenu. Ils obligent le tiers qui souhaite prendre connaissance du contenu à poser un certain acte avant de pouvoir le faire.”
C’est dans cet esprit que la Cour Fédérale de l’Ontario a rendu une décision concernant le cas de liens hypertextes renvoyant vers des oeuvres de l’esprit, dans une décision Warman c. Fournier2 rendue le 21 juin 2012. Le juge va préciser la notion de communication au public, au regard de celui qui rend l’oeuvre accessible sur Internet : “La communication d’une œuvre par télécommunication ne constitue une violation que si elle n’était pas autorisée. …le fait de rendre une œuvre disponible sur un site accessible au public par l’Internet équivaut à autoriser sa communication par télécommunication.”
“La personne qui rend disponible une œuvre musicale sur un site accessible par l’Internet en autorise la communication. Elle le fait uniquement afin que celle‑ci puisse être communiquée, en sachant fort bien et en espérant qu’une telle communication aura lieu”
Depuis ces décisions, il convient de rappeler que la nouvelle loi sur le droit d’auteur est entrée en vigueur au Canada fin juin 2012, et a apporté des précisions en la matière.
Ainsi, l’article 2.3 de la Loi dispose: “quiconque communique au public par télécommunication une oeuvre ou un autre objet du droit d’auteur, ne les exécute ni ne les représente en public de ce fait, ni n’est réputé, du seul fait de cette communication, autoriser une telle communication ou représentation en public”. Il s’agit donc d’une limite apporté aux droits d’auteur visés à l’article 3 de cette même loi.
La CJCE* de son coté, a analysé différemment cette notion de communication au public dans une décision Swensson c Retriever rendue le 13 février dernier, au regarde de la Directive Européenne visant à harmoniser le droit d’auteur.
La CJCE commence par rappeler “chaque acte de communication d’une œuvre au public doit être autorisé par le titulaire du droit d’auteur.”
Elle rappelle ensuite comment se définit l’acte de communication: “pour qu’il y ait «acte de communication», il suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité”
Ensuite, elle va affiner la notion de public en distinguant le public existant
du public nouveau auquel le lien peut renvoyer: “c’est-à-dire à un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur, lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public”.
En résumé, la CJCE va considérer que le lien portera atteinte aux intérêts du titulaire des droits d’auteur lorsque la première communication de l’oeuvre protégée s’adresse à un public restreint, sur abonnement , par exemple. Quand le premier accès à l’oeuvre s’effectue sans restriction, la création d’un lien de renvoi vers cette oeuvre ne créé pas une communication à un nouveau public. “ Dès lors, faute de public nouveau, l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas à une communication au public telle que celle au principal”.3
La CJCE par cet arrêt a donc précisé la notion de communication au public et continue son oeuvre d’harmonisation du droit d’auteur. Elle avait préalablement analysé la notion de reproduction partielle et temporaire d’une oeuvre ( des courts extraits d’articles de presses repris pour une revue de presse sur le Net), dans un arrêt Infopaq du 16 juillet 2009. Elle rappelle dans un premier temps ce qu’est une oeuvre: “une création intellectuelle propre à son auteur” et précise que “la protection s’étend aux parties de l’oeuvre…dès lors qu’elles participent, comme telles, à l’originalité de l’œuvre entière”
La Directive Européenne sus-visée prévoit cinq conditions cumulatives pour être dispensé de l’autorisation du titulaire du droit d’auteur dans le cadre de la reproduction d’une oeuvre: L’acte de reproduction doit être provisoire,transitoire ou accessoire, faire partie intégrante d’un procédé technique, visé une transmission dans un réseau de tiers ou une utilisation licite, et dépourvu de signification économique indépendante.
Aux USA, les hyperliens pointant vers des oeuvres protégées, sont en principe licites sauf exception…
Pour en conclure sur ce sujet, je rappellerai les mots de la Cour Suprême du Canada dans la décision Crookes c. Newton précitée:
“Notre Cour a décrit la capacité de diffusion de l’information par l’Internet comme « l’une des grandes innovations de l’ère de l’information » et indiqué que le « recours à l’Internet doit être facilité, et non découragé » …..Les hyperliens en particulier sont un élément indispensable de son fonctionnement.”
Il faut vivre avec son temps et accepter les risques raisonnables de la diffusion d’une oeuvre sur Internet, selon la Cour.
Ces liens font écho lointainement à d’autres attaches, celles évoquées par Jean de La Fontaine dans la fable du loup et du chien.
“- Attaché ? dit le loup ; vous ne courez donc pas ?…cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.” ”
Carle Vernet 1818 (source Musée Jean de La Fontaine)
M.D le 24 février 2014
Notes:
1 CJCE : Cour de Justice des Communautés Européennes
2 Cette décision est aujourd’hui définitive, suite à l’abandon de la procédure d’appel par Warman, selon les informations obtenues par le site Excess Copyright.
3: pour une analyse détaillée de cet arrêt de la CJCE , lire:
– L’établissement d’un hyperlien peut-il constituer une “communication au public”? IPdigIT – Alain Strowel 17 mars 2013
– l’article de Valérie-Laure Benabou sur Droitdu.Net du 16 février 2014.
Et pour aller plus loin:
– Analyse sur la décision Warman c. Fournier par Michael Geist – The Star- 30 juin 2012
– Pour les USA : Does Linking to Content Infringe Copyright? par Evan Brown -10 Aout 2013
–Transatlantic Copyright Comparisons: Making Available via Hyperlinks in the European Union and Canada JEREMY DE BEER and MIRA BURRI aout 2013 NCCR Trade regulation
Je trouve tes articles très intéressants. Ça porte à réfléchir tout le temps.
Bonne journée!
Patricia