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 DSCN4926 Petit retour en arrière sur l’hiver 2015 qui aura été chaud dans le monde judiciaire de la propriété intellectuelle. Plusieurs décisions importantes ont été rendues par les Cours Européenne, Française et Canadienne pour un dépoussiérage  de notions juridiques de base, appliquées au domaine de la propriété intellectuelle. Une revue printanière pour rappeler quelques principes fondamentaux.

  • « Pacta sunt servanda » …Le contrat est la loi des parties – IBM / MAIF Cour d’appel de Bordeaux, 29 janvier 2015

Plus de 10 ans après la signature d’un contrat d’intégration de progiciels et une longue saga judiciaire, IBM vient de faire les frais de l’application de principes posés par le Code Civil en matière de droit des contrats. La Cour d’appel de Bordeaux vient de statuer sur renvoi de la Cour de Cassation,  laquelle avait rappelé les principes suivants, dans un arrêt du 4 juin 2013. Le premier de ces principes, même s’il souffre d’exceptions, est que le contrat est la loi des parties[i]. Si l’on veut faire la preuve qu’une modification a été apportée à des engagements contractuels, il faut prouver la novation[ii] c’est à dire la substitution de nouvelles obligations aux anciennes. Or, la novation ne se présumant pas, la Cour rappelle que les protocoles d’accord convenus entre les parties auraient dû être suivis de la conclusion d’un avenant au contrat initial, stipulant clairement les changements apportés aux anciennes obligations. Dans les contrats d’intégration, le projet initial évolue souvent,   au fur et à mesure de son avancement en raison fréquemment de l’évolution des besoins d’un client et/ou de la sous estimation des prestations à réaliser. Il est donc impératif de faire entériner tout changement par des avenants au contrat initial, substituant des obligations nouvelles aux anciennes, pour éviter ce genre de dérive. A défaut les tribunaux considèreront que seul le contrat initial s’applique. Enfin, cette décision rappelle que lorsqu’on s’engage sur une obligation de résultats, ce qui fut le cas d’IBM en l’espèce, avec des délais à respecter et un budget… il faut s’y tenir. La Cour d’appel de Bordeaux a en effet condamné IBM à verser à la MAIF une indemnité de 9 millions d’euro outre le remboursement des sommes versées par la MAIF…(lire la décision sur le site Legalis.net), pour non respect de cette obligation.

La Cour de Cassation vient de rappeler que seule une personne physique peut être l’auteur d’une œuvre de l’esprit, à l’origine, même lorsque cette œuvre est un programme informatique. En l’espèce, un professeur de médecine et un informaticien avaient constitué une société TRIDIM qui exploitait un logiciel d’analyses. Un différend est intervenu entre les deux associés et la question de la titularité et de la revendication des droits d’auteur s’est posée, alors que l’un d’eux venait de constituer une autre société (ORQUAL). La Cour n’a pas tranché le fond du litige, faute de preuve de part et d’autres sur la qualité d’auteur, mais a précisé qu’une personne morale ne peut pas être investie des droits d’auteur sur une oeuvre. L’affaire est renvoyée sur la question de la démonstration de la qualité d’auteur vers une Cour d’appel. Cette décision doit inciter à la réflexion quant à la pré-constitution de preuve par une personne morale,  sur la titularité des droits d’auteur des créations qu’elle a financées. Un audit préalable peut s’avérer utile pour déceler les éventuelles failles dans l’établissement des droits. Ainsi, s’il existe une présomption de cession des droits des salariés au profit de l’employeur dans le domaine du logiciel[iii], cette exception ne s’étend notamment pas aux œuvres multimédia, bases de données, ni aux associés. Des contrats de cession spécifiques doivent donc être établis. Rappelons que pour être protégeable, une oeuvre de l’esprit doit être originale et donc refléter l’empreinte de la personnalité de son auteur. En matière informatique, l’arrêt Pachot de la Cour de Cassation en 1986, a précisé que l’originalité résulte d’un apport intellectuel. La seule exception est la possibilité pour la personne morale de démontrer l’existence d’une œuvre collective, c’est à dire « L’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous la direction et son nom et dans laquelle le contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé».[iv]  Mais il s’agit d’une presomption simple et la Cour exige que l’exploitation soit non équivoque et ne fasse pas l’objet de revendication d’un auteur personne physique.

Cette décision de la CJCE est à mettre en parallèle avec le premier billet écrit sur ce blog, consacré à une décision de la Cour Suprême du Canada qui n’avait pas manqué de surprendre, à l’époque, une juriste fraîchement débarquée de France. Il s’agit de faits relativement similaires à ceux de l’espèce dont a été saisie la CJCE et qui concernait le peintre canadien Claude Théberge. Dans l’espèce de la CJCE, la société Allposters proposait à ses clients des transferts sur toile de posters dont elle avait légitimement obtenu l’autorisation d’exploitation et de reproduction,. Cette technique  aboutissait au remplacement du support en papier par une toile. Pictoright, qui gère des droits d’auteurs, s’est opposée à la vente des transferts sur toile a demandé à Allposters de cesser cette activité en la menaçant de poursuites judiciaires. Pour la Cour, « un remplacement du support, tel qu’effectué dans l’affaire au principal, a pour conséquence la création d’un nouvel objet incorporant l’image de l’œuvre protégée, tandis que l’affiche, en tant que telle, cesse d’exister. Une telle modification de la copie de l’œuvre protégée qui rend le résultat plus proche de l’original est de nature à pouvoir constituer en réalité une nouvelle reproduction de cette œuvre… qui relève du droit exclusif de l’auteur et nécessite son autorisation. » La Cour poursuit en précisant « la circonstance que l’encre est préservée lors de l’opération de transfert n’est pas de nature à affecter la constatation que le support de l’image a été changé. » Dans ces conditions la Cour ajoute que « le droit de distribution d’un tel objet n’est épuisé qu’à la suite de la première vente ou du premier transfert de propriété de ce nouvel objet avec le consentement du titulaire de ce droit. » La Cour de justice Européenne a rendu cette décision en se fondant notamment sur les conclusions du Gouvernement français, défenseur habituel des droits des auteurs, et sur les traités internationaux de l’OMPI, notamment la Convention de Berne. La loi sur le droit d’auteur ayant été modernisée et modifiée au Canada en 2012, on peut de demander si Cour Suprême du Canada pourrait revoir sa position. En 2002, la Cour Suprême avait surtout cherché à instaurer un « équilibre » entre les droits du public (la promotion des oeuvres d’art passant par leur large diffusion, selon la Cour) et la « juste récompense » de l’auteur. En pratique, cet équilibre a surtout été  fait au détriment de l’auteur. A l’heure de la mise en oeuvre d’accords internationaux de libre échange conclus entre le Canada et l’Union européenne, cette question, même si elle n’a pas le même poids que les fromages et le vin dans les négociations,  pourrait tout de même faire débat.

Un bref rappel des faits: En 1999, Bell Express Vu, a appris que son signal de télévision par satellite faisait l’objet de piratage. BELL a attendu le mois d’août 2004 pour remplacer les cartes d’accès des clients. Vidéotron et TVA ses concurrentes l’ont accusé d’avoir fait traîner les choses pour détourner des clients, ceci leur créant un préjudice. La Cour a estimé qu’en négligeant d’agir en temps opportun, BELL causait, logiquement et directement, des dommages à ses concurrents. Elle précise: “Sous réserve d’un taux de piratage acceptable de 3 %[13], Vidéotron et TVA ont droit aux dommages‑intérêts en réparation du préjudice causé par le défaut de BEV (sa lutte inadéquate au piratage de son signal et l’absence de mise en place, au plus tard le 1er janvier 2004, de la solution destinée à éradiquer ce piratage) et qui en est une suite immédiate et directe (article 1607 C.c.Q.). La Cour a estimé le préjudice à plus de 404.000 dollars le préjudice subi par la chaine de télévision TVA et 82 millions pour sa concurrente Vidéotron. BELL envisagerait de saisir la Cour Suprême. Elle dispose de 60 jours à compter de la décision. L’obligation de limiter ( ou mitiger)  ses dommages en droit civil québécois repose sur le principe qu’une victime ne peut pas simplement attendre sans rien faire, si elle peut limiter ou éviter de subir un préjudice. Cette obligation est d’autant plus importante quand son inaction cause un préjudice à des tiers, comme ce fut le cas en l’espèce. Pour conclure ce grand ménage de début de printemps: un jugement sans doute approuvé de tous: un alexandrin de Jean Racine, puisque le printemps est aussi celui des poètes.  Qu’après un long hiver, le printemps a de charmes!“  Extrait de  « La Nymphe de la Seine” – Jean Racine – IMG_1482 M.D. le 30 mars 2015 [i] [i] Article 1134-1 du Code Civil et Chronique du Conseil Constitutionnel sur cet article. [ii] Article 1271 et suivants du Code Civil [iii]Article L113-9 du CPI: « Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer.. » [iv] Article L113-2 alinéa 3 CPI

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