La connexion à Internet fait parti de notre quotidien et, dans bien des cas, devient une sorte de drogue, dont on peut difficilement se passer sans sevrage intensif.
Ainsi, alors qu’il y a encore quelques années, nous attendions patiemment la venue du facteur, une fois par jour, les jours ouvrés, pour consulter notre boite aux lettres, aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous empêcher de pianoter sans cesse nos différentes laisses électroniques, quelque soit le lieu où l’on se trouve, pour vérifier son courrier.
De plus, les technologies dites modernes permettant de prolonger la journée de travail jusque dans notre lit, certains en oublient qu’ils utilisent souvent un outil fourni par leur employeur.
D’autres, sur leur lieu de travail, vont ouvrir un email envoyé par un “ami” et visionner un fichier douteux qu’ils stockeront dans la mémoire, vive ou non de leur machine, ou dans leur nuage pour les plus branchés.
Ces gestes, parfois beaucoup plus graves, ont conduit les tribunaux à s’interroger sur la possibilité pour un employeur de consulter le contenu d’un ordinateur, ou autres “smart” machines.
Le premier réflexe d’un employeur qui veut de séparer d’un salarié sera de consulter les outils de travail de ce dernier. La tentation est en effet grande, et il y a fort à parier qu’il va y découvrir moult informations sur la vie personnelle de son salarié.
Peut-on toutefois accéder librement à ces instruments, au prétexte qu’ils appartiennent à l’employeur? Cette question a été, à plusieurs reprises, posée aux juridictions Françaises et Canadiennes.
En France, la Cour de Cassation vient de confirmer et préciser sa position dans plusieurs arrêts rendus cet été. Une présomption a été posée que les fichiers des salariés, non identifiés comme personnels, peuvent être consultés par l’employeur en l’absence du salarié. Cela relève du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur pendant le temps de travail.
Reste à savoir ce qu’est un fichier identifié comme personnel ainsi que, quand et où, s’arrête le temps de travail du salarié.
La Cour, le 10 mai 2012, a été interrogée aux fins de savoir si le dossier “ mes documents” était un fichier personnel. Pour la Cour, la seule mention “mes documents” ne lui confère pas un caractère personnel. L’employeur peut donc consulter le fichier en dehors de la présence du salarié et sans son consentement.
Peut-on en déduire qu’il suffirait d’identifier un fichier comme “personnel et confidentiel” ou une formule similaire, pour le rendre inviolable ? Si L’arrêt Nikon, en 2001, a posé ce principe, la Cour de Cassation est venue, depuis, tempérer ses effets. En effet, les fichiers expressément identifiés comme personnels peuvent être consultés par l’employeur ”en cas de risque ou d’évènement particulier”, ou ”en présence du salarié” ou encore “s’il a été dument appelé à assister”.
Par ailleurs, le fait d’appeler un disque dur professionnel ”données personnelles” ne constitue pas en tant que tel un dossier personnel, selon la Cour de Cassation, dans un arrêt du 4 juillet 2012.
Enfin, il n’est pas inutile de consulter le règlement intérieur ou la charte de l’utilisation de l’internet dans une entreprise, le cas échéant. Ainsi, un licenciement a été annulé car le règlement stipulait que la consultation du poste de travail devait se faire en présence du salarié ( Cour de Cassation 26 juin 2012) .
Au Canada, la Cour Suprême vient de rendre une décision qui précise les conditions dans lesquelles il est possible d’utiliser comme moyen de preuve des informations contenues dans un ordinateur portable professionnel ( Reine c. Cole 19 octobre 2012).
La question était de savoir si un salarié peut s’attendre au respect de sa vie privée quant à l’utilisation d’un ordinateur portable professionnel. Concernant un ordinateur personnel, ce droit a été affirmé dans une décision Reine c. Morelli en 2010.
Dans la décision R. c. Cole, la Cour estime que le respect à sa vie privée constitue une attente raisonnable de la part d’un salarié, s’il utilise son ordinateur de façon raisonnable, à des fins personnelles, en vertu de la Charte des droits et libertés.
Cette attente raisonnable, en matière de respect au droit à la vie privée, trouve sa limite dans le fait que l’employeur peut avoir le pouvoir raisonnable, dans le cadre de son pouvoir de direction et de surveillance, de saisir et fouiller cet ordinateur qui lui appartient, selon les circonstances.
En l’espèce, il s’agissait d’images à caractère pornographique juvénile figurant dans les fichiers temporaires de l’ordinateur d’un enseignant. Le manuel des politiques et procédures du conseil scolaire autorisait l’utilisation occasionnelle des ressources informatiques à des fins personnelles et précisait que les courriels demeuraient privés, sous réserve de certaines nécessités d’administration.
Toutefois, ce pouvoir raisonnable ne s’étend pas aux tiers, et ne peut être délégué à la police. Cette dernière doit requérir un mandat pour fouiller cet ordinateur, la propriété matérielle du bien n’étant pas déterminante. A défaut, la preuve n’est pas recevable.
La Cour fait , à cet égard, la distinction entre la propriété de l’objet et le contenu informationnel qu’il contient. Cependant, elle ne va pas jusqu’au bout de son raisonnement, validant, pour les besoins et les faits de l’espèce, les preuves révélées par la fouille opérée par le conseil scolaire.
La juge Abella, a émis une opinion dissidente, en allant plus loin dans son analyse. Elle estime que les preuves constituées par les fichiers Internet temporaires et la copie du disque dur auraient dû être rejetés. Elle tire les conséquences de la distinction entre la propriété de l’objet matériel, et des données, qui peuvent avoir un caractère privé, qu’il contient.
En effet, un ordinateur contient souvent un éventail d’informations personnelles, de données à caractère biographique, notamment financières, médicales, familiales. De plus, s’agissant d’un ordinateur portable que l’on rapporte chez soi, d’autres personnes que soi peuvent y accéder et laisser des traces dans les fichiers temporaires, tel un adolescent en mal de sensations, ou un conjoint indélicat.
Enfin, à l’heure où nos données voguent dans le Cloud, il devient très difficile de distinguer ce qui a été stocké dans le nuage depuis un ordinateur personnel, puis consultés ultérieurement et ponctuellement à partir d’un matériel professionnel.
En conséquence, pour se prémunir contre ce genre d’incertitudes, il est important de bien définir dans une charte d’utilisation de l’Internet et des outils professionnels, la possibilité ou non, de consulter le contenu informationnel de ces outils, en présence ou non du salarié, ou celui ci dument appelé. De plus, la présence d’un huissier est également recommandée afin d’établir un constat précis de ce contenu informationnel qui peut disparaitre facilement.
Dans son livre au titre provoquant :“ la vie privée, un problème de vieux cons ?”, le journaliste français Jean-Marc Manach rappelle que : ‘”Le modèle économique du web repose essentiellement sur l’agrégation et la commercialisation de ces données personnelles des utilisateurs. La vie privée est devenue une sorte de monnaie d’échange pour payer les services gratuits en ligne. Le modèle social est fondé sur la monétisation de notre intimité.”
En conséquence, pour éviter de se prendre les pieds dans la toile, pensez à l’épouvantail de l’auto modération…la cyber éthique.
Sinon, votre vie privée risque de se voir exposer comme une citrouille un soir d’Halloween!
M.D. le 24 octobre 2012
Notes:
Pour aller plus loin sur ces sujets:
– En France: voir les articles de Me Eric Caprioli dans la revue Communication, Commerce Electronique du Jurisclasseur , notamment les revues de juillet/aout et septembre 2012
– Pour une étude comparative sur la situation au Canada et aux USA: Etude de Karen Eltis “la surveillance du courrier électronique” à la revue Lawjournal McGill 2006
Les mots Big Brother is watching you, dans le roman Nineteen Eighty-Four de Eric Arthur Blair connu sur son nom de plume George Orwell, r�sonne de plus en plus fort avec les multiples avances de communications �lectroniques / l’internet. En tant que tel la vie priv�e n’existe plus. Pour ceux qui ont encore des secrets ou des confidences importants qui leur sont pr�cieux, il vaut mieux prendre plume et papier, et livrer � la main. Article tr�s fort, et propice. J J Fournier
Sujet brûlant d’actualité, bien documenté, comme toujours…
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