Ce billet va parler de liens virtuels aux conséquences bien réelles.
Une décision récente d’un tribunal anglais, rapportée par le site IPKAT, vient en effet de décider de l’extradition Outre-Atlantique, d’un citoyen de Sa Gracieuse Majesté pour une question de liens prohibés.
Rien de dangereux dans ces liaisons, a priori, puisqu’il s’agit de liens hypertextes – ces liens qui permettent, d’un clic sur la partie soulignée ou l’image, d’accéder à une autre page web.
La question des liens hypertextes est toutefois importante, car, Internet sans lien hypertexte, c’est un peu comme les radis sans beurre: sans saveur ni intérêt. Un Internet végétatif en quelque sorte.
La communication virtuelle permet d’un clic d’approfondir une recherche, de voir la source d’une information, de trouver des réponses à une question, en utilisant les moteurs de recherches tel Google lequel met des liens hypertextes pour chacune des requêtes des utilisateurs que nous sommes, quel que soit le sujet.
Dans les pays démocratiques, la liberté de communication est une valeur fondamentale. La communication sur Internet est par principe libre. Cette dernière, comme toute liberté, trouve sa limite dans les abus qui peuvent en être fait.
Dans l’espèce qui a occupé cette Cour anglaise, un étudiant anglais avait créé un site internet au Royaume-Uni – avec pour adresse URL TVscharck.com et TVscharck.net – aux fins de proposer aux internautes des liens vers des sites en ligne qui permettent gratuitement et illégalement le téléchargement de films protégés ou leur diffusion par streaming. Lui-même ne stockait sur son serveur aucune donnée. Il mettait simplement à disposition des internautes les liens vers d’autres sites. Les faits sont plus amplement exposés sur le site de arstechnica.com notamment.
Les Etats-Unis, détenteurs des extensions de domaine .com et .net, ont saisi, via le ICE
(Immigration and Custom Enforcement), les adresses Internet et se sont rendus avec les autorités anglaises au domicile de l’étudiant pour saisir son matériel, notamment. Ils ont ensuite présenté une demande d’extradition de l’étudiant vers les USA pour contrefaçon.
La question tranchée par la juridiction anglaise ne fut pas de savoir si l’activité de cet étudiant au travers de son site internet était légale ou pas, mais portait sur l’extradition d’un citoyen anglais vers les USA pour une infraction commise sur le territoire anglais, puisque la création du site et son hébergement étaient situés au Royaume Uni.
Sur le fondement d’accord d’extradition passé avec les USA en 2003, cette demande d’extradition a été acceptée par le juge anglais à la surprise générale. Un appel de la décision est toutefois envisagé par l’étudiant qui souhaite être jugé en Angleterre conformément aux lois du pays où l’infraction a été commise.
La question des liens que l’on peut mettre sur un site Internet n’est donc pas anodine et les conséquences peuvent être graves, même en dehors des cas d’abus de droit tels le dénigrement d’un concurrent, la diffamation ou la concurrence déloyale.
En effet, un internaute qui met un lien vers un site, ne peut contrôler le contenu de ce site postérieurement à la création du lien. Il paraît difficilement envisageable de demander de surveiller le contenu des sites vers lesquels des liens ont été créés.
En conséquence, la question est de savoir si on peut être tenu responsable des actes de contrefaçon – entre autre – par le simple fait de pointer un lien vers un site commettant de tels actes. Il convient de préciser que, dans ce cas, aucune donnée n’est stockée par l’internaute. Rappelons qu’en matière de musique ou de film notamment, la contrefaçon sera constituée par la représentation non autorisée. Or, pendant longtemps la représentation était définie par la communication de l’oeuvre au public.
En l’ espèce, il n’y a pas de communication de l’oeuvre au public puisqu’on ne fait que proposer de cliquer sur un lien. Depuis la directive européenne de 2001/29/CE, transposée notamment en droit français à l’article 335- 4 du CPI, la simple mise à disposition du public d’oeuvres protégées par le droit d’auteur peut être condamnable.
Le traité de l’OMPI –accords de Marrakech de 1996 sur le droit d’auteur – en son article 8 évoque également le droit de mise à disposition l’oeuvre au public, ainsi que le rappelle M. Labyod.
Cette notion mériterait d’être précisée car vue de façon trop restrictive, elle peut nuire gravement à la liberté d’expression sur le net. En France, à ce jour les liens hypertextes dit profonds ( qui renvoient directement à une page d’un site qui n’est pas la page d’accueil) ne sont pas considérés comme des actes de communication au public mais constituent une mise à disposition du public, suivant une jurisprudence du TGI de Paris du 18 juin 2010. Ces actes n’ont pas été sanctionnés à ce jour, mais l’ambiguité réside.
Rassurons tout de suite nos lecteurs français qui ne seraient pas tentés par une traversée forcée de l’Atlantique. La France n’extrade pas ses ressortissants, ce que tout le monde sait depuis l’affaire Polanski.
Bien qu’ils n’aient pas d’océan à traverser, les ressortissants canadiens peuvent, à ce jour, créer des liens vers d’autres sites, sans risquer d’en perdre le sommeil.
La Cour Suprême du Canada vient, en effet, de rendre un arrêt, en date du 19 octobre 2011 affaire Crookes c/Newton disposant : “Les hyperliens constituent essentiellement des renvois, qui diffèrent fondamentalement d’autres actes de « diffusion ». Tant les hyperliens que les renvois signalent l’existence d’une information sans toutefois en communiquer eux‑mêmes le contenu. Ils obligent le tiers qui souhaite prendre connaissance du contenu à poser un certain acte avant de pouvoir le faire. Le fait qu’il soit beaucoup plus facile d’accéder au contenu d’un texte par le biais d’hyperliens que par des notes de bas de page ne change rien au fait que l’hyperlien en lui‑même est neutre sur le plan du contenu. En outre, le seul fait d’incorporer un hyperlien dans un article ne confère pas à l’auteur de celui‑ci un quelconque contrôle sur le contenu de l’article secondaire auquel il mène”.
Un commentaire détaillé de cet article est donnée sur le site du professeur Michael Geist.
Enfin, pour en revenir au jeune étudiant anglais qui doit faire face à la demande d’extradition, peut-être convient t-il de lui rappeler qu’invoquer une maladie grave peut être une cause de refus d’extradition au Royaume Uni, depuis la célèbre “jurisprudence” Pinochet .
Par ailleurs, pour le cas où ce précédent ne s’appliquerait puisque l’étudiant n’a pas commis de crime contre l’humanité, il lui reste la possibilité de saisir in fine la Cour Européenne des droits de l’homme qui a refusé au Royaume Uni – le 17 janvier 2012– l’extradition d’un notoirement présumé terroriste, en raison de risques d’actes de torture supposément pratiqués par le pays demandeur à l’extradition, la Jordanie. Appliquée aux USA, il pourrait invoquer la crainte de voir Guantanamo recyclé en centre de rétention pour cybercriminels en herbe.
“Le criminel au moment où il accomplit son crime est toujours un malade” disait Fiodor Dostoïevski dans Crimes et Châtiments. Les juges de la Cour d’appel n’auront peut-être pas besoin de ces arguments pour rendre une décision à la juste mesure de la faute commise.
En attendant, vérifiez bien vos sources avant de les citer. Pour paraphraser George Orwell : Big Brother is watching you !
M.D. le 19 janvier 2012
Bravo pour une critique à point et juste. Il faudrait peut-être en faire parvenir une copie au juge anglais qui a rendu cette décision honteuse et déplorable.
On se demande quelle est la valeur d’une conscience anglaise, qui d’un côté peut offrir secours au meurtrier Pinochet, et de l’autre rendre un présumé innocent, étudiant anglais aux Américains pour en faire profiter leurs avocats requins.
Ces commentaires n’engagent que leur auteur ! Tout n’est pas la faute des avocats.. Le traité d’extradition conclu entre les USA et UK est une décision politique avec lesquels les juristes doivent se débrouiller. Certains appliquent la lettre de la loi, d’autres l’esprit des lois….
Merci Marianne, à l’heure de la SOPA et de l’Hadopi, il est intéressant de constater qu’on peut être extradé pour la publication de liens hypertextes… Devant l’émergence d’une menace aussi grave (!), et compte-tenu de la prompte réponse apportée, on peut espérer que les ayants-droit américains vont retrouver le sommeil…
Big Brother est un amateur 😉
Compte tenu de mon utilisation limitée des hyperliens, votre article me rassure.
Merci d’avoir fouillé la question pour le bénéfice des néophytes.
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